Par Sylvain Cottin
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À quatre mois du procès Cahuzac, n’importe quel électeur peut désormais consulter le patrimoine d’un parlementaire en préfecture. Un vrai parcours du citoyen-combattant

Yamina Benguigui condamnée mais dispensée de peine : tel aura donc été le curieux épilogue du premier procès en transparence de l’ère post-Cahuzac. Jugée fin septembre pour avoir omis quelques éléments sonnants et trébuchants de sa déclaration de patrimoine, l’ancienne ministre du gouvernement Ayrault pourrait en revanche avoir ouvert le bal d’une dizaine de parlementaires pour le moins distraits.

Après celui des ministres jeté en place publique et sur Internet au printemps 2014, voilà donc dévoilé le patrimoine des députés et sénateurs, mais à condition - entre autres strictes ordonnances - de se déplacer...

Yamina Benguigui condamnée mais dispensée de peine : tel aura donc été le curieux épilogue du premier procès en transparence de l’ère post-Cahuzac. Jugée fin septembre pour avoir omis quelques éléments sonnants et trébuchants de sa déclaration de patrimoine, l’ancienne ministre du gouvernement Ayrault pourrait en revanche avoir ouvert le bal d’une dizaine de parlementaires pour le moins distraits.

Après celui des ministres jeté en place publique et sur Internet au printemps 2014, voilà donc dévoilé le patrimoine des députés et sénateurs, mais à condition - entre autres strictes ordonnances - de se déplacer sur rendez-vous dans les préfectures. À quatre mois du procès de Jérôme Cahuzac, c’est peu dire que ce grand déballage ne bouscule pas grand monde à leur portillon. Un parcours du citoyen-combattant que nous avons testé en Charente-Maritime et dans les Landes.

La transparence, où, quand, comment ?

L’hiver et l’ennui vous guettent à l’entame des vacances de la Toussaint ? Voici une idée de sortie aussi originale que chronophage. Discrètement mise en place au cœur de l’été en souvenir d’un vif débat à l’Assemblée, la consultation du patrimoine des parlementaires offre à chaque électeur le loisir de s’ériger en contrôleur fiscal, qu’importe sa circonscription. Pour peu que vous ne soyez pas démuni de vos droits civiques et d’une bonne dose de patience, chaque préfecture se doit alors de vous dérouler - si ce n’est le tapis rouge - la fortune des élus.

Encore faut-il pour cela que son personnel ait été prévenu qu’une telle initiative n’était plus hors la loi. « Consulter le dossier d’Henri Emmanuelli ? Mais voyons, personne n’a le droit de faire ça », proteste-t-on d’abord au standard de Mont-de-Marsan. Dans les Landes, comme à La Rochelle pour Dominique Bussereau, après de longues minutes d’attente musicale, l’affaire intrigue tant que vous risquez fort d’échouer dans le bureau du directeur de cabinet du préfet en personne. Accueil viril mais correct, rendez-vous malgré tout est pris. « Depuis le 10 juillet, c’est la première demande que l’on reçoit », se justifie une employée de la préfecture landaise. Même écho à La Rochelle, où l’on se souvient juste d’avoir vu défiler un ou deux journalistes mal travestis. « Nous aussi on sait faire des recherches sur Google », sourit-on d’un air entendu. « Quand je vous disais que ce texte ridicule et voyeuriste ne répondait pas aux attentes de nos compatriotes », jubile en écho le Charentais Jérôme Lambert, seul député socialiste (depuis au PRG) à avoir voté contre la loi.

Secret défense d’afficher…

Opération porte ouverte à condition, donc, de savoir passer par les fenêtres. Une fois franchie cette première épreuve et présentées vos cartes d’identité et d’électeur, un agent préfectoral - qui ne vous quittera plus - lit vos droits… À moins qu’il ne s’agisse des sommations d’usage. Ni notes ni photo, pas d’enregistrement audio « sous peine de prendre la porte » derechef, et, bien sûr, interdiction formelle de parler de ce que vous avez vu, sous peine que votre propre patrimoine soit allégé de 45 000 euros d’amende.

À moins d’être le champion intersidéral du calcul mental, ce strict mode opératoire interdit alors de facto toute analyse sérieuse. En votant ces mesures, les parlementaires voulaient prévenir le risque d’une dérive vers une « démocratie paparazzi ». Las, ces règles donnent plus que jamais l’impression de regarder par le trou de la serrure. Car si l’on échappe ici à la fouille corporelle, d’autres préfectures n’hésitent pas à se montrer plus zélées encore, ôtant smartphone et montre à l’heure de pénétrer dans le petit bureau vitré. Dans la peau d’un gardé à vue, le requérant voit alors son gardien s’en aller chercher le secret de Polichinelle dans le tiroir d’un bureau fermé à double tour. « Les documents sont imprimés grâce à une clé cryptée, puis systématiquement broyés après chaque consultation. »

Voitures, tableaux, maisons, actions…

Sur l’air de « je sais tout mais je ne dirai rien », laissons parler les petits papiers : 17 pages au total, souvent vierges de tout patrimoine, si ce n’est la parfois très longue énumération des comptes bancaires et de leur approvisionnement. Si tous les montants des revenus ne sont pas détaillés, pas question en revanche de zapper la case assurance-vie, fonds de commerce et actions en Bourse. Pour le reste, l’inventaire à géométrie variable intéressera davantage l’apprenti cambrioleur que le redresseur de torts : voitures, bateaux, valeur des meubles, tableaux et autres résidences secondaires dont les adresses ont prudemment été gommées.

Les limites de l’exercice

À l’image par exemple de ce vieux sénateur, pauvre comme Job sur le papier, malgré plusieurs décennies d’une riche vie politique nationale. « S’il n’est pas marié sous le régime de la communauté, rien ne l’empêche de transférer sa fortune à sa femme sans que cela apparaisse », admet un expert. Sur les 9 000 décideurs publics désormais contrôlés par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), près de 300 déclarations font tout de même l’objet d’une enquête du fisc. Sans revenir sur le sort des secrétaires d’État Thévenoud et Benguigui, notons enfin que 11 parlementaires ou ministres seraient également dans son collimateur, essentiellement pour avoir sous-estimé la valeur d’un bien immobilier.

« On ne peut pas parler de fraude », s’agace Jérôme Lambert. Dévoilant volontiers son patrimoine, le petit-neveu de François Mitterrand raconte au passage sa mésaventure avec la HATVP. « J’ai estimé ma maison à 200 000 euros, eux m’ont rattrapé en disant qu’elle en valait 400 000. Finalement, on s’est mis d’accord sur 300 000. Une somme qui fait rigoler tout le monde dans mon village. » À la tête de l’ONG Transparency, Daniel Lebègue décerne à l’inverse un satisfecit au dispositif patrimonial. « Mais il faut maintenant s’attaquer à la masse des élus locaux », insiste-t-il en pointant les limites du volet fiscal. « Car si de vrais députés fraudeurs se font choper comme ça, c’est qu’ils sont vraiment cons », renchérit Jérôme Lambert.

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