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Fondamental

Tchernobyl, 25 ans après : un tel scénario peut-il se répéter?

Le 26 avril 1986, le réacteur de la centrale de Tchernobyl, en Ukraine, explose. Les opérateurs menaient un essai qui a mal tourné. Qu'en est-il aujourd'hui des réacteurs du même type, toujours en service? Les réponses de Michel Chouha, physicien, représentant de l'IRSN en Europe de l'Est.

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Tchernobyl en 1986
Le réacteur n°4 explose peu après 1h du matin au cours d'un exercice visant à relancer l'activité de la centrale. Pour les besoins de l'exercice, certaines procédures de sécurité avaient été désactivées.
© Sipa

Sciences et Avenir.fr : Que s’est-il passé le 26 avril 1986 à la centrale de Tchernobyl ?
Michel CHOUHA :
L’accident de la centrale de Tchernobyl est une combinaison entre des erreurs humaines et des défauts de conception du réacteur, de type RBMK. Il ne s’est pas produit dans des conditions normales de fonctionnement mais lors d’un essai technique qui avait déjà été réalisé et qui ne comportait pas en soi de danger. Le problème c’est que l’essai a été mené alors que le réacteur était en situation instable. Les opérateurs ont lancé la procédure de baisse de la puissance du réacteur en vue de l’essai. Cependant on leur a demandé d’interrompre cette procédure pour répondre à la demande et fournir de l’électricité. Résultat, le réacteur a continué à fonctionner à moyenne puissance pendant plusieurs heures. Cela a modifié l’équilibre entre les produits de fission et perturbé le cœur, qui est devenu instable. Les opérateurs ne parvenaient pas à stabiliser la puissance. Malgré cela, parce qu’ils étaient pressés par le temps, ils ont quand même lancé l’essai.

Pourquoi le réacteur s’est-il emballé ?
Les réacteurs RMBK ont un défaut de conception majeur : ce qu’on appelle un coefficient de vide, ou coefficient de température, hautement positif. Cela signifie que lorsque la température augmente dans le cœur pour une raison quelconque, la réactivité augmente et donc la puissance augmente. Or si la puissance augmente la température s’élève encore plus… C’est l’emballement [en France un réacteur doit obligatoirement avoir un coefficient de vide négatif, NDLR]. Or plus la valeur du coefficient de vide est élevée, plus la réaction physique est rapide –on parle ici d’une fraction de seconde- ne laissant pas à l’homme la possibilité  de réagir. D’où l’importance des systèmes automatiques de sécurité. Le 26 avril 1986, les opérateurs de Tchernobyl avaient commis une erreur très grave et incompréhensible : ils avaient inhibé le système d’arrêt d’urgence du réacteur, pour qu’il ne vienne pas perturber l’essai. C’est comme si une voiture sans frein se lançait à pleine vitesse sur une pente raide en comptant sur la résistance de l’air pour la ralentir !!
Pour aggraver un peu plus la situation, les barres de contrôles étaient motorisées et mettaient 18 secondes à descendre ! La première mesure prise, rapidement après l’accident de Tchernobyl, a été d’installer dans les autres réacteurs RMBK de nouvelles barres de sécurité qui chutent dans le réacteur par gravité en 2 secondes.

Quelle est la sécurité de ces réacteurs RMBK à l’heure actuelle ?
Il reste onze réacteurs RMBK en activité en Russie, sachant que ce type de réacteurs n’a été construit que dans l’ancienne Union soviétique (Russie, Ukraine, Lituanie). Ils ont tous été modernisés afin de corriger les défauts de conception.
Avant 1986, nous ne savions pas grand-chose de ces réacteurs. Ce n’est qu’après l’accident que la Russie a laissé les experts internationaux travailler en coopération avec elle. Une longue liste de recommandations a été établie pour améliorer la sécurité des réacteurs RMBK : notamment abaisser le coefficient de vide, qui est toujours positif mais très proche de zéro, ou encore changer totalement les systèmes de refroidissement de secours, le système électrique, le système informatique d’aide à l’opérateur, le système d’arrêt d’urgence, etc... L’état de sûreté des RMBK aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était avant 1986. Pour chaque réacteur RMBK le programme de modernisation a coûté environ 300 millions de dollars.

Un tel scénario d’emballement ne devrait donc plus se reproduire ?
La Russie a tiré toutes les leçons techniques de cet accident, et on a tout fait pour qu'il ne se reproduise pas. Cependant il peut y avoir d'autres scénarios auxquels on ne s'attend pas, comme à Fukushima. Les centrales japonaises ont bien résisté au séisme, les réacteurs se sont arrêtés mais les moyens de refroidissement ont été perdus à cause du tsunami.

Quelles seront les conséquences, pour la filière nucléaire, de l’accident de Fukushima ? Seront-elles plus importantes qu’en 1986 ?
C’est très difficile à dire. L’accident de Three Mile Island aux États-Unis, en 1979, a pour la première fois attiré l’attention sur les risques graves encourus avec les réacteurs nucléaires. Il a  semé le doute et donné un petit coup de frein aux programmes de la filière. Avec Tchernobyl, plusieurs programmes ont été arrêtés. Mais les réactions sont très variables en fonction des pays. L’Ukraine a mis en service 9 réacteurs nucléaires depuis 1986. Je pense qu’il en sera de même après Fukushima : ce n’est peut-être pas au Japon que la filière nucléaire sera la plus affectée.

Sur le site de Tchernobyl, une nouvelle arche doit être construite. Est-ce la bonne stratégie?
Il faut en effet protéger le sarcophage qui recouvre le réacteur et qui vieillit. Il n’est pas étanche, laissant fuir de la radioactivité, et pourrait à terme s’effondrer, ce qui serait catastrophique. L’arche qui doit être construite va permettre à long terme de démanteler le site –démonter le sarcophage et enlever le combustible- dans de bonnes conditions de sécurité. Je crois que c’est ce que l’on peut faire de mieux en l’état actuel des connaissances.


Propos recueillis par Cécile Dumas
Sciences et Avenir.fr
26/04/11

Pour en savoir plus: Michel Chouha et Paul Reuss publient Tchernobyl, 25 ans après... Fukushima, aux éditions Lavoisier.

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