De toutes les sottises sur l'homosexualité dont Christian Vanneste s'est de nouveau rendu coupable, la seule qui ne soit pas caricaturale au point de s'autodétruire, et qui mérite, à cet égard, qu'on s'y attarde un peu, c'est l'idée selon laquelle "être homosexuel, c'est refuser l'autre".
Que présume cette assertion ? Que sous-entend celui qui l'affirme ? Et que présupposent les gens qui, sans être le moins du monde homophobes, ne se sentent pas en désaccord avec une phrase qu'ils trouvent plus évidente que bête ? Bref, que veut-on dire quand on dit ça ? Que croit-on quand on le pense ?
En rappelant que c'est Vanneste lui-même qui réduit l'autre au même en réduisant l'individu à son genre, que c'est Vanneste lui-même qui ne voit que du "même" et de l'identique à l'intérieur de l'ensemble homogène que forment, à ses yeux, tous les homosexuels réunis. Qui est l'autre, ici ? De qui ou de quoi l'autre est-il le nom ? De l'autre sexe, uniquement. Vanneste prétend défendre l'altérité contre ceux qui la refusent, mais la seule altérité dont il parle, c'est l'altérité homme / femme : la définition qu'il donne de l'altérité est tellement restrictive qu'elle lui permet d'être homophobe au nom de la tolérance. C'est parce que moi j'aime les autres, dit-il en substance, que je n'aime pas les autres qui n'aiment pas les autres ! C'est parfait. A l'image des gens qui excluent de leur cercle tous ceux qui ont l'esprit moins ouvert qu'eux, ou de Didier Super qui veut "couper les couilles de tous les gens qui sont pas hyper-cools dans leur tête", Christian Vanneste considère qu'il suffit d'être de même sexe pour ne pas être différent, et que, par conséquent, l'obligation d'aimer son prochain culmine dans l'interdiction d'aimer son semblable. C'est par amour de l'altérophile qu'il déteste l'homosexuel : sous des dehors d'évidence, le propos de Vanneste est rigoureusement contradictoire.
Et il l'est encore plus si, d'aventure, on est d'accord avec lui : accorder à Vanneste que les homosexuels sont tous les mêmes parce qu'ils ont tous en commun de refuser l'autre serait faire de l'homosexualité (contrairement aux intentions de Vanneste) un véritable exhausteur de différences. Car ce que dit Vanneste revient à lever le voile d'une altérité ostensible (celle de la différence des sexes) pour découvrir une altérité véritable (celle de la différence entre les individus). L'idée que l'homosexualité "refuse l'autre" fait saillir les différences au lieu de les supprimer ; de même qu'on ne compare que ce qui est comparable on voit mieux les différences quand elles éclatent sur un fond uniforme. La phrase de Lévi-Strauss selon qui "seules les différences se ressemblent" est ici étonnamment réversible : seules les ressemblances manifestent la différence. Au fond, ce que Vanneste redoute, ce n'est pas l'altérophobie de l'homosexuel, mais le fait, au contraire, que l'homosexualité multiplie les occasions d'être et de se sentir différent - ce qu'il a tort de croire et encore plus de craindre.
C'est à la lumière d'un tel malentendu qu'il faut comprendre, chez Vanneste, l'utilisation d'un lexique antisémite pour parler des homosexuels : "Vous en avez beaucoup dans le domaine de la culture, dit-il, vous en avez beaucoup dans le domaine des médias. C'est-à-dire dans tous les domaines de la communication." De là "un renversement de la proportion du poids de l'homosexualité dans notre société" et "un art consommé de la déformation systématique des faits", à commencer, dit-il, par la "fameuse légende de la déportation des homosexuels" que Vanneste entend balayer. L'homophobie de Vanneste est complotiste et négationniste. Vanneste, c'est le Dieudonné des homos. La façon qu'il a d'être homophobe ressemble à s'y méprendre à la façon qu'ont les antisémites de haïr les juifs. Pourquoi ? Parce que l'homosexuel est aussi difficile à identifier que le juif. Parce qu'à la différence du racisme qui prospère en s'appuyant sur une altérité visible au premier coup d'œil, l'antisémitisme et l'homophobie expriment "le malaise du semblable vis-à-vis du semblable" (Jankélévitch), l'étrange proximité de celui dont il faut construire l'altérité de toutes pièces pour être certain, soi-même, de ne pas en être. Le différend de Vanneste avec l'homosexualité ne lui vient pas d'une altérité dont il déplore l'altérophobie, mais d'une identité dont il s'épouvante qu'à juste titre elle soit aussi la sienne. En d'autres termes, s'il est hautement contestable que l'homosexualité soit le refus de l'autre, il est absolument certain qu'en ce qui concerne Christian Vanneste l'homophobie est une haine de soi.
(1) Au Rendez-vous des politiques sur France-Culture, en 2007.