Attentats, morts violentes, grèves de la faim… L'actualité en Corse ne cesse de démentir les promesse de sécurité faites en son temps par Nicolas Sarkozy. Le candidat président se rendra-t-il en Corse ? Il devra alors y défendre un bilan et justifier de biens faibles résultats au regard de la situation d'exception qui caractérise l'île de beauté en matière de justice. L'exercice sera ardu, tant l'ile est placée sous tension du fait la juridiction d'exception qu'on lui applique. Instituée par la loi Perben II, la justice inter-région spécialisée, censément destinée à lutter contre la "criminalité organisée", est en effet appliquée à la Corse et ses habitants avec un esprit de système sans grand rime ni raison.
Peu de français mesurent à quel point cette juridiction est éffectivement exceptionnelle. Pourtant, comme le rappelait une motion soumise à l'Assemblée de Corse, très critique sur le fonctionnement de la police et de la justice sur ce "territoire", la Jirs autorise une utilisation de la détention provisoire qui la rend, dans les faits, sans limite. L'objet n'est plus de protéger la société en limitant la liberté de mouvement du prévenu mais plus bonnement de le faire craquer. Eloignement familial, manœuvres dilatoires pour "faire durer"… tout devient bon pour un magistrat d'autant moins tenté d'instruire activement qu'il mise sur l'attente. Cette conception limite d'autant la capacité qu'à le prévenu à se défendre face à une instruction qui peut librement avoir recours à des témoignages anonymes, sans possibilité de confrontation contradictoire. Par effet de contamination, cette étonnante justice donne le "la" aux pratiques de terrains, favorisant un usage à grande échelle des gardes à vues dérogatoires au droit commun, des interpellations aussi spectaculaires que brutales de personnes à leur domicile…
Au vu des réglements de compte qui continuent d'émailler la chronique insulaire, on ne peut pas dire que ces pratiques se soient révélées d'une grande efficacité contre la "criminalité organisée". Peut-être cette impuissance relative explique-telle un certain acharnement de la Jirs contre ceux qu'elle parvient à mainenir en détention ? On est loin, dans ce cas, de l'administration d'une justice qui contribue à l'apaisement de la société et au développement démocratique auquel les Corses aspirent.
Dernièrement, un jeune corse, Lisandru Plasenzotti détenu aux Baumettes a entamé une grève de la faim à la prison des Baumettes pour protester de son innocence. Elle a duré plus de cinquante jours. Il a finalement été libéré… Plus récemment, Guy Orsoni, incarcéré à Grasse, vient à son tour d'entamer une grève de la faim. Cette action va être rejoint par d'autres, dont son père, Alain Orsoni.
Ces gestes aussi déterminés que désespérés mobilisent la société civile Corse, au-delà des jugements qu'elle peut avoir sur la question de l'innocence ou de la culpabilité des prévenus. C'est qu'ils disent l'impossibilité qu'il y a à se défendre dans le cadre de la Jirs ; qu'ils dénoncent le fonctionnement opaque et inégal consubstantiel a toute justice d'exception.
D'où de nombreux rassemblements, la mobilisation de la LDH de Corse, la saisine de l'assemblée de Corse, de nombreux articles de presse… Ces expressions de lassitude et de colère sont de plus en plus nombreuses face à des traitements perçus comme autant de marques d'infamie collective.
Cette attention, cette mobilisation pour une justice sereine, travaillant en vérité et avec un souci de réelle efficacité contre le crime tranche positivement avec toute tentation de violence et d'instrumentalisation qu'on a, hélas, pu connaître. Il serait temps d'y faire raison.
La volonté de plus en plus nettement affirmée d'en finir avec une justice d'exception aussi inefficace qu'humiliante pour un territoire de la République rejoint l'aspiration partagée de tous les français à bénéficier d'une justice égale, dotée des moyens de son exercice, offrant à tous la possibilité d'une défense effective.
Cette aspiration fait écho aux réserves, le mot est faible, qu'avait émise en son temps la Commision consultative des droits de l'homme. Après avoir émis des craintes quant à la notion même de "criminalité organisée", elle précisait : "Le système (…) restreint au minimum le droit des parties (…) alors même que l'éloignement de la jurdication spécialisée, ainsi que son mode de foncitonnement ne sont pas sans incidence sur l'exercice effectif des droits de la défense".
L'ampleur et la diversité des protestations publiques attestent qu'un seuil a été franchi. Et qu'il est temps, en Corse comme ailleurs, de tourner la page des justices d'exception. En réclamant la dissolution de la Jirs, en exigeant, comme le précise la loi, que l'incarcération préventive soit l'exception et non pas la règle, la Ligue des droits de l'Homme ne se situe pas en défense contre l'accusation. Elle plaide pour le procès équitable, le traitement égal des justiciables, qu'ils soient Corses ou continentaux. Elle le fait bien entendu aux cotés des détenus en grève de la faim, de leur familles, de leurs avocats ; mais surtout, elle le fait pour la justice.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu