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Économie

L'armée condamnée à vendre puis à relouer ses navires et ses avions

Le ministre de la Défense travaille sur la création de sociétés de leasing de matériel militaire, comme l’A400M ou les frégates FREMM. Ce projet ambitieux a mis le feu à Bercy et contraint l’Elysée à trancher.
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Airbus A400M
L'Airbus A400M sur la BA 123 à Saint-Jean-de-la-Ruelle, près d'Orléans.
ALAIN JOCARD / AFP

La France va-t-elle bientôt revendre ses frégates et autres avions de transport A400M pour les relouer immédiatement ? Incongru il y a quelques années, le scénario de ces sociétés de leasing militaires, annoncé début octobre par le ministère de la défense, est en train de prendre forme. Jean-Yves Le Drian a mis un coup d’accélérateur sur la création de sociétés de projets, ou SPV (Special Purpose Vehicle), dont le capital serait abondé par des cessions de participations de l’Etat. Leur mise en place est envisagée dès mi-2015.

Derrière ce montage un rien baroque, l’idée est simple : faire entrer au plus vite les 2,1 milliards d’euros de ressources exceptionnelles (REX) qui manquent à l’appel pour boucler le budget de défense 2015 (31,4 milliards d’euros). L’hôtel de Brienne avait longtemps compté sur la vente de la bande de fréquences dite des 700 Mhz, la "fréquence en or" aujourd’hui propriété des armées, pour atteindre ce chiffre, mais le calendrier de mise aux enchères ne permettra pas de boucler l’affaire en 2015. Il fallait donc dégainer une autre idée, un "financement innovant" en novlangue ministérielle, sous peine de devoir gérer un trou béant dans le budget militaire dès 2015.

Objectif : renflouer les caisses

Jean-Yves Le Drian a donc sorti de son chapeau le projet de leasing de matériel. Pas totalement une nouveauté : l’idée avait déjà été évoquée en 2003 par la ministre de la défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie, qui avait étudié des solutions de leasing de frégates multi-missions (FREMM). Le scénario des SPV, jugé trop risqué à l’époque, avait été à nouveau étudié il y an au ministère de la défense, où le cabinet Earth Avocats de Yves-René Guillou l’avait présenté en détail.

L’intérêt ? La société de projet rachète des équipements à l’armée, une substantielle et immédiate rentrée d’argent à la clé ; puis la société reloue immédiatement le matériel aux forces, ce qui permet de lisser la dépense, avec des loyers annuels relativement modestes. Le ministère assure voir dans ce dispositif  l’arme fatale, au-delà des 2,1 milliards à trouver en 2015, pour combler tous les besoins de ressources exceptionnelles d’ici à 2017, soit 5,5 milliards d’euros. Le leasing serait réservé à des équipements à vocation logistique (avions de transports A400M, CASA C-235 etc), ou des matériels non directement exposés au combat (hélicoptères de patrouille maritime, voire frégates…), ce qui exclurait les chasseurs Rafale, les sous-marins nucléaires ou les missiles.

Sapin est contre, Macron est pour

Le problème, c’est que l’idée est loin de faire l’unanimité. Le chantier des SPV a même mis le feu à Bercy, où le ministre des Finances Michel Sapin et une bonne partie de ses équipes freinent des quatre fers sur le sujet, quand le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, y est favorable. Les opposants s’appuient sur un rapport conjoint de la DGA, du Contrôle général des armées et de l’inspection des Finances, remis en juillet à Brienne et à Bercy et dévoilé par Challenges le 13 novembre, qui jugeait le projet de SPV aléatoire, complexe et coûteux, et assurait que le montage serait comptabilisé en dette publique, mais aussi que les frais de gestion et d’assurance risqueraient de déraper.

Selon nos informations, François Hollande a sifflé la fin de la récréation : une lettre du secrétaire général de l’Elysée Jean-Pierre Jouyet a explicitement chargé Emmanuel Macron de prendre en main, aux côtés de Jean-Yves le Drian, la mise en place des SPV. Une procédure rare qui met sur la touche -en théorie- Michel Sapin et ses équipes, au grand soulagement de l’hôtel de Brienne.

L'Etat-major pas vraiment enthousiaste

Pas de quoi faire taire les sceptiques. Interrogé par Les Echos le 10 novembre sur le fait que ces sociétés de projet relèveraient de l’ "usine à gaz", le chef d’état-major des armées Pierre de Villiers avait simplement répondu "oui", tout en reconnaissant qu’il "faut avoir un esprit novateur, de défricheur". D’autres sont plus explicites: "Ce projet de SPV, véritables ovnis juridiques, relève de la cavalerie financière, dénonce le député UMP Pierre Lellouche. On touche au cœur des attributions régaliennes de l’Etat, avec un montage qui peut aboutir à une explosion des coûts."

L’hôtel de Brienne assure au contraire que la période est propice, vu le faible coût de l’argent, et que le contrôle des matériels restera du domaine de l’Etat, via la DGA. L’autre argument, c’est qu’à 150 millions l’A400M et 605 millions la FREMM, l’argent rentre vite, et quasiment sans douleur, dans les caisses de la défense. "Il n’y a pas d’autre solution pour rassembler les ressources exceptionnelles nécessaires en 2015, assure Jean-Yves Le Drian dans le numéro de Challenges mis en vente ce jeudi 20 novembre. Les sociétés de projet permettront de préserver le plan de charge des industriels, et pourront éventuellement servir à des offres à l’export basées sur le leasing de matériels."

Deux appels d'offres on été lancés

Selon nos informations, six industriels (Airbus Group, Dassault, Thales, Safran, DCNS et le groupe de formation DCI) ont été reçus le 6 novembre à l’hôtel de Brienne par Jean-Yves Le Drian, en présence du ministre de l’économie Emmanuel Macron, pour les sonder sur l’idée des sociétés de projet. Seul Nexter manquait à l’appel, l’Etat ne voulant pas déstabiliser le groupe, en plein processus de fusion avec son concurrent allemand Krauss-Maffei Wegmann. "Le retour a été positif", assure-t-on dans l’entourage du ministre. "On en ferme jamais la porte à rien en business, du moment que c’est du business, et pas de la politique", assure un industriel.

Le ministère de la Défense a lancé deux appels d’offres pour l’aider à bétonner le projet au plus vite : l’un concerne un cabinet d’avocat d’affaires pour le conseil juridique, l’autre une banque d’affaire pour les aspects financiers. Le temps presse : les crédits issus des ventes de matériel doivent pouvoir être consommés dès 2015.

Vincent Lamigeon et David Bensoussan

 

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