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« Où sont les petits génies arabes en Ligue 1 ? », par François Bégaudeau

Dans sa chronique pour le cahier « Sport&Forme », l’écrivain revient sur les propos de Sagnol sur « le joueur typique africain ».

Publié le 11 novembre 2014 à 12h35, modifié le 19 août 2019 à 14h20 Temps de Lecture 2 min.

L'entraîneur des Girondins de Bordeaux, Willy Sagnol, le 4 novembre.

La meilleure manière de ne pas entendre une parole est de l’enserrer dans la morale, soit pour l’excuser, soit pour l’accabler. Willy Sagnol ayant parlé, les uns clament que ses phrases ont dépassé sa pensée (« maladresse »), les autres qu’elles la trahissent, et tous admettent qu’un communiqué contrit et contraint de l’intéressé, doublé d’une accolade de soutien des joueurs bordelais, classe l’affaire. On a encore perdu une occasion de penser.

Dommage, parce qu'en dressant son portrait du « joueur typique africain », l’entraîneur des Girondins a dit un truc. Un truc dont il n’a pas le monopole, et qui à ce titre mérite d’être entendu – c’est-à-dire compris et non jugé.

Encore faudrait-il prendre sa sortie pour ce qu’elle est. Non pas une allocution politique, mais une sortie sur le foot, émanant d’un technicien du foot. Qu’elle en passe ou non par des dichotomies clicheteuses entre l’intelligence de l’homme blanc et la puissance de l’homme noir, son opinion est avant tout technique. Son opinion est que la formation et le recrutement français accordent aux performances physiques une place aussi démesurée que celle des maths à l’école. Ce qui donne, entre autres dégâts : un championnat bétonneur, la rareté des créateurs et dribbleurs dans l’élite locale, une équipe nationale à la traîne dans la générale mutation du jeu vers plus de vivacité et d’aisance balle au pied.

Nasri ? Tête à claques nationale

Sur ce point, on s’associe. Voire on applaudit. Voire on se fera plus royaliste que le roi en radicalisant sa thèse. Cher Willy, si tu tiens vraiment à ethniciser ta volonté de voir émerger des joueurs fins et techniques, que ne t’étonnes-tu plutôt de la stupéfiante rareté des joueurs maghrébins en Ligue 1 ? Que ne réclames-tu, toutes affaires cessantes, des mesures qui empêchent que les petits génies arabes de banlieue soient refoulés des centres de détection pour cause d’insuffisance athlétique ? Ce vivier-là est tout de même beaucoup plus accessible, et plus foisonnant, que celui de tes chers joueurs nordiques. Alors, qu’est-ce qu’il se passe ?

Il se passe qu’il y a comme un souci. Il se passe que, à une notable exception près, le compagnonnage entre le foot français et les Maghrébins est, au mieux, inexistant, au pire, orageux. Surtout depuis une décennie. Nasri ? Tête à claques nationale. Ben Arfa ? Personne n’a voulu y croire. Benzema ? Privé de Mondial en 2010 alors que, titulaire au Real, et longtemps contesté avant que l’évidence de son talent ne fasse, provisoirement sans doute, taire les contempteurs.

Les deux premiers nommés ont certes méticuleusement œuvré à se rendre indésirables, et on salue au passage la douce épouse de Samir. Mais quand même. Quelque chose se dit là, qui est peut-être le fond du fond, opaque à leur auteur, des propos de Willy. Un sentiment, un ressenti, une sourde rêverie qui irriguent maints discours contemporains. D’Eric Zemmour, nostalgique des braves Bleus de 1982, au journaliste Daniel Riolo, déplorant la « racaillisation » du foot, en passant par les vannes sur les cheveux de Pogba ou la complainte de l’essayiste Jean-Claude Michéa sur la disparition du football paysan plein de bon sens, court l’idée, pas raciste, pas méchante, juste un peu étriquée, un peu bourrue, un peu auvergnate comme Willy, qu’on se sentirait quand même mieux avec des footballeurs issus du petit peuple blanc.

François Bégaudeau

Le Monde

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