L'affaire semble tout droit sortie d'un roman de John Le Carré. Depuis le coup de filet des autorités américaines contre dix espions russes présumés, un parfum de guerre froide s'est emparé des médias américains. Encre invisible, messages codés, femme fatale et argent enterré… Tous les ingrédients du parfait polar sont réunis.
D'après l'acte d'accusation établi par le ministre de la justice, les membres du réseau d'espionnage présumé, surnommés les "illégaux", avaient pour mission de "devenir suffisamment 'américanisés' pour pouvoir recueillir des informations sur les Etats-Unis" et "infiltrer les cercles politiques" du pays. Une fois formés par le Service des renseignements extérieurs russe, le SVR, "les agents secrets se voyaient remettre une fausse identité". Ils opéraient ensuite par deux, "de telle sorte qu'ils pouvaient se faire passer pour un couple marié".
C'est le cas, notamment, de Donald Heathfield et Tracey Foley, deux quadragénaires tranquilles de Cambridge dans le Massachusetts, dont le site Wicked Local livre un portrait détaillé. Hautement diplômés et parents de deux adolescents, les espions présumés travaillaient comme consultants pour des entreprises aussi diverses qu'Alstom, Boston Scientific, General Electric, Praxair et T-Mobile. Selon un de ses collègues, Tracey Foley "se rendait souvent à Paris". Comme son époux, elle disposait d'un passeport canadien.
DES CITOYENS SANS HISTOIRES
Richard et Cynthia Murphy, eux, s'étaient établis à Montclair, dans le New Jersey. Interrogés par le site North Jersey.com, leurs voisins les décrivent comme des parents aimables et attentifs. Cynthia, élégante trentenaire avec un léger accent scandinave, travaillait pour une banque à New York City. Richard, père au foyer, s'occupait des enfants. Des Américains sans histoires… mais surveillés par le FBI depuis plusieurs années et soupçonnés d'avoir cherché à collecter des renseignements sur le traité Start, la guerre en Afghanistan, le marché de l'or et le programme nucléaire iranien.
Le groupe des "illégaux" compte également une journaliste hispanophone, Vicky Pelaez, et une "femme fatale", Anna Chapman. Citoyenne russe de 28 ans, cette dernière s'est installée aux Etats-Unis récemment. Elle a monté une affaire, et détenait jusqu'à son arrestation un visa de travail. D'après le New York Post, "la rousse incendiaire au physique de James Bond girl" transmettait des renseignements tous les mercredi depuis janvier à des contacts en Russie.
Comme le souligne Jeff Stein dans son blog SpyTalk sur le site du Washington Post, les méthodes utilisées par les agents présumés semblent tout droit sorties d'un manuel d'espionnage des années 1950. Mis à part les techniques de codage de données dans des photos ensuite diffusées sur des sites Internet anodins, l'usage des radios à ondes courtes pour contacter directement Moscou et les protocoles de rendez-vous fleurent bon la guerre froide.
Mais si le SVR est bien le successeur de la mythique première direction générale du KGB, le service de renseignement extérieur de l'URSS de l'époque dont est notamment issu l'ex-président russe et actuel premier ministre Vladimir Poutine, l'acte d'accusation établi par le ministère de la justice ne permet pas de comprendre exactement l'importance des informations recueillies par ces agents supposés depuis près de trente ans.
A la lecture de la plainte concernant Cynthia Murphy, on peut en effet douter de sa capacité à mener à bien la mission qui lui a été confiée et qui consistait à infiltrer des cercles proches du gouvernement américain. "Le centre de Moscou a demandé à Cynthia Murphy en 2010 d'essayer d'obtenir un emploi qui lui permette de contacter des sources au sein du gouvernement américain […] mais le groupe des 'comploteurs du New Jersey' avait répondu que Murphy craignait qu'on ne lui demande trop de détails sur son parcours professionnel", indique notamment la plainte du FBI.
Inculpés d'espionnage, et, pour neuf d'entre eux, de blanchiment d'argent, les onze suspects risquent des peines comprises entre cinq et vingt-cinq ans de prison.
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