« Fabien Caillé, élu de l'Armée de Dumbledore. » L'homme qui se présente ainsi n'est pas membre d'un collectif de fans de Harry Potter, il sort d'une campagne pour les élections étudiantes de l'université Rennes 2. Avec lui, 44 étudiants ont déposé une liste inspirée de l'œuvre de J. K . Rowling, et ont pris, à la surprise générale, la deuxième place du scrutin, remporté par la liste de l'Elan associatif. Ils sont aujourd'hui plusieurs à siéger dans les différents collèges : deux au Conseil d'administration, où ils ont obtenu 26,24 % des voix, et cinq à la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU), plus consultative, où ils ont récolté 27,77 % des suffrages exprimés.
« Au départ, on était cinq ou six à discuter sur le ton de l'humour des futures élections, se souvient Fabien Caillé, mandataire de la liste. Quelqu'un a eu l'idée de Harry Potter, on s'est dit que ça correspondait bien à Rennes 2. » Dans le livre, des étudiants constituent un groupe secret, l'armée de Dumbledore, censé combattre les forces du mal. « Nous c'est contre l'administration et la fusion prévue avec l'université Rennes 1 qu'on voulait se battre », assure le jeune homme aux cheveux longs, fier d'avoir trouvé la métaphore.
« Construire une voie 9 3/4 », « acheter un Choixpeau magique »
Le programme qu'ils présentent détonne dans cette université spécialisée dans les sciences humaines et sociales, réputée pour être l'une des facs les plus politisées de France : « Construire une voie 9 ¾ dans le métro qui relierait jour et nuit Villejean (principal campus de Rennes 2 situé au nord-ouest de la ville) à la rue de la soif » ; « Faire envoyer les résultats des examens par hibou »; « Acheter un Choixpeau magique [dans Harry Potter, ce chapeau choisit dans quelle "maison" étudieront les jeunes sorciers] pour aider les étudiants dans leurs choix d'orientation », etc.
Difficile de savoir si, comme Coluche pour l'élection présidentielle de 1981, l'Armée de Dumbledore est une plaisanterie qui s'est prise au sérieux. Fabien Caillé en est persuadé, les gens n'ont pas voté à la légère. « On nous a accusé de dépolitiser, alors que c'est tout l'inverse, notre candidature décalée a remobilisé les électeurs. Notre politique, on pouvait la lire entre les lignes. » Les 1 800 voix cumulées récoltées (les étudiants étaient appelés à voter deux fois lors d'un même scrutin, une pour le CA, l'autre pour le CFVU), ont fait d'eux la deuxième association la plus puissante de l'université. Les « apprentis sorciers » de Rennes 2 interprètent ce succès comme le résultat d'une « façon différente de faire de la politique à l'université ». « Je pense que sans nous, les élections auraient été comme d'habitude : avec des méthodes tristes, et tout le monde se serait mobilisé à la veille des élections », se persuade le mandataire de liste.
Des méthodes classiques de mobilisation qu'il a pourtant longtemps pratiquées, lui qui a été élu à Rennes 1 sur une liste de l'UNEF dans le passé. Le principal syndicat étudiant le reconnaît aussi, la mobilisation plus importante que d'habitude – 16 % des étudiants sont allés voter, contre 10 % un an plus tôt – est certainement due à l'engouement provoqué par la liste un peu surréaliste. Paul Le Damany, président de l'UNEF à Rennes et seul élu du syndicat au nouveau CA – ayant obtenu 14,8 % des voix au scrutin du CA, contre 42 % en 2014 – veut aussi croire à un contexte national défavorable : « Avec un gouvernement socialiste qui applique une politique néolibérale, le milieu étudiant est un peu résigné, alors qu'habituellement c'est une population plutôt mobilisée. »
Pour le jeune syndicaliste, il s'agit aussi clairement d'un vote contestataire :
« Leur succès vient du fait que les étudiants se sentent marginalisés de la démocratie universitaire, dans le sens où ils n'ont pas beaucoup de poids dans les conseils. La liste de l'Armée de Dumbledore est venue en expliquant que ces élections ne servaient à rien et ils ont voulu le montrer par l'absurde. »
Résultat, la liste venue de Poudlard divise doucement le campus de Villejean, principal établissement de Rennes 2. Une bataille électorale oppose ceux qui sont pour la démarche humoristique et ceux qui craignent une dépolitisation de la vie étudiante. Des graffitis anti-Poudlard apparaissent sur les murs, et le symbole des Mangemorts (les partisans du dangereux sorcier Lord Voldemort) est visible sur certaines façades ; un « Voldemort vaincra » est même peint sur une barrière. Pour épouser le thème fantastique, l'Elan associatif, principale liste concurrente, imprime des affiches qui s'inspirent de la série « Game of Thrones », quand l'UNEF crée des slogans du type : « Nous on ne propose pas de solution magique », ou « Défendre ses droits c'est pas sorcier ».
« Un passé syndical important à respecter »
Assis sur le mur et devant le bâtiment L, soda à la main, Samuel, étudiant en deuxième année de psychologie, reconnaît sans honte avoir voté pour l'Armée de Dumbledore, par curiosité :
« Leur démarche m'a d'abord fait rire, puis en regardant leur page Facebook, j'ai vu qu'ils l'expliquaient plutôt bien, qu'ils répondaient aux nombreux commentaires. Finalement, c'est un peu la démocratie participative qu'ils expérimentent. »
Etudiante en littérature, Eloise a voté blanc. Elle ne se reconnaissait dans aucune liste et surtout pas dans celle de « Dumbledore ». « Je trouve que c'est dangereux de voter pour des gens qui n'ont pas de programme, s'indigne-t-elle. Il y a un vrai risque de signer un chèque en blanc à des gens dont on ne connaît pas grand chose politiquement. » Avec la médiatisation dont a fait l'objet cette liste plutôt improbable, la jeune fille craint que Rennes 2 n'ait été décrédibilisée.
Piercing à l'oreille, barbe finement taillée, Kevin Nadarajah voit lui aussi d'un mauvais œil la candidature de cette liste : « On est à Rennes 2, il y a une histoire et un passé syndical important à respecter. » Cet étudiant en master de psychologie est élu pour la deuxième année consécutive au conseil d'administration de l'université, sur la liste de l'Elan associatif, sortie gagnante des urnes. Au coude à coude avec l'UNEF l'an passé, l'échec du syndicat pour ce scrutin leur a permis de prendre la première place.
Une crise de gouvernance en toile de fond
Mais la mobilisation importante des élections des 24 et 25 mars est également liée à la crise de gouvernance dans laquelle est empêtrée cette université depuis plusieurs mois. Derrière cette élection poudlardesque, un dossier épineux, celui de la fusion des universités Rennes 1 (une université plutôt orientée vers les sciences et la médecine) avec Rennes 2. Un projet mis sur la table depuis 2013 et qui devait aboutir en 2016 à la création d'une seule et unique université rennaise.
« On travaillait sur ce projet de fusion depuis plus d'un an », raconte Catherine Loneux, ancienne première vice-présidente de l'université pendant trois ans. « Il y avait beaucoup de points compliqués, mais on restait ouvert au dialogue. On a eu le courage d'essayer mais au bout d'un moment, en novembre 2014, quand on a commencé à parler de gouvernance, le dispositif s'est grippé. »
Il est alors prévu que l'université Rennes 1 dispose de trois quarts des sièges au sein du futur Conseil d'administration. Si les sièges sont répartis en fonction du résultat des élections, chaque liste doit assurer la représentation des quatres grands secteurs disciplinaires définis par la loi, l'Université de Rennes 1 en représentant trois (sciences et technologies, santé, droit-économie-gestion), Rennes 2 un seul (sciences humaines et sociales).
Tout le Conseil d'administration de Rennes 2 s'est opposé à ce processus, sauf une personne, Jean-Emile Gombert, alors président de l'université. « Il avait une position personnelle là-dessus, se rappelle Mme Loneux. Mais il était hors de question pour nous de nous laisser aspirer, j'ai alors démissionné de mes fonctions de vice-présidente et ensuite tous les administrateurs ont quitté leurs fonctions au CA. » A nouveau élue après que sa liste SGEN-CFDT est arrivée en deuxième position lors du scrutin enseignant, elle fera dorénavant partie du conseil d'administration, où elle siègera notamment avec les deux élus de l'Armée de Dumbledore.
Enseignant en géographie à Rennes 2, Olivier David a aussi fait partie des vingt administrateurs démissionnaires. Tête de liste du Snesup-FSU et grand vainqueur des dernières élections, il est le très probable futur président de l'université. Son regard sur la « liste Dumbledore » reste plutôt bienveillant, d'autant que chaque voix sera importante pour s'assurer une majorité forte lors des conseils d'administration. « Cette liste a apporté des choses nouvelles sur les modes de mobilisation étudiante, remarque-t-il. Elle a apporté un certain engouement et de l'intérêt pour cette élection, et a attisé la curiosité des étudiants. »
A sa demande, les étudiants lui ont d'ailleurs fourni un document d'une dizaine de pages, avec cette fois-ci des propositions un peu moins spectaculaires : « réaménager certains bâtiments pour en faire des espaces plus conviviaux », « améliorer l'information des étudiants » face à « la complexité administrative », ou encore « faire plus en faveur de la solidarité et l'égalité des sexes ».
S'il assure que le projet de fusion est aujourd'hui totalement abandonné, M. David devra prochainement traiter un dossier tout aussi important et délicat : la création d'une communauté d'universités. L'université Bretagne-Loire devrait fédérer 27 établissements et regrouper à terme plus de 160 000 étudiants, 6 600 enseignants-chercheurs et 6 500 personnels administratifs et techniques. « J'espère qu'on sera dans quelque chose de plus fédéral, confie-t-il. Rennes 2 est en dehors du jeu en ce moment, avec cette crise, on a accumulé du retard. Les statuts ont été adoptés par le ministère sur des bases qui sont plutôt défavorables à Rennes 2 dans le conseil de décision, c'est là-dessus qu'il va falloir travailler. »
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